vendredi 13 novembre 2009

Profession de foi

Rien à faire. Tout me ramène sans cesse aux sixties. Musicalement parlant surtout. Tous les groupes actuels que j'écoute ne sont, finalement, "que" des exhalaisons de cette période flamboyante où tout semblait nouveau, où chaque américain de moins de 20 ans avait fondé son propre groupe pour enregistrer un 45 tours aujourd'hui tombé dans l'oubli. Les milliers de compilations, de qualité variable, s'attachant à retracer la période - en gros 1965 à 1969 - ne font que rendre compte de l'incroyable diversité et inventivité qui régnait alors.
Bien sur, le rock psychédélique ne serait rien sans le rock'n'roll, qui lui-même ne serait rien sans le blues et la country, qui eux-même... On pourra ergoter longtemps encore sur les racines du rock. Qui de Elvis Presley, Bill Haley ou Jackie Brenston est le véritable inventeur du rock'n'roll ? On s'en moque, et ce n'est d'ailleurs pas vraiment le sujet. En effet, le rock psychédélique n'est pas une invention à proprement parler. Il a ses artisans, ses incontournables, bien entendu. On pourrait citer les Byrds qui eurent l'idée géniale d'électrifier le Mr. Tambourine Man de Dylan, les Sonics qui enregistrèrent sur l'os des standards du rock'n'roll, détruisant enceintes et isolation phonique des studios pour graver leurs premières galette, préfigurant ainsi les punks, le 13th Floor Elevator et leur son de soucoupe volante identifiable à la première seconde... Mais il y a autre chose. Dans les années soixante souffle un vent nouveau. La jeunesse bouge et prend conscience de cet instinct de vie qu'elle réprime depuis trop longtemps. Elle a un coeur qui bat, un coeur qui pense. Le vieux monde semble se craqueler. Pas seulement en Occident, mais partout sur la planète, du Cambodge à la Turquie, du Mexique à l'Iran. En Occident, l'un des facteurs de ces changement qui s'annoncent est indiscutablement la drogue ! LSD, Haschich... Elle est presque un instrument à elle seule, une composante déterminante qui occasionnera des expérimentations sonores tous azimuts. Un nombre incalculable de chanson célèbre les vertus de ces plantes qui deviendront psychédéliques, justement.
Que l'on nous permette ici une petite digression. revenons en 1948 : le chimiste suisse Albert Hofmann fait l'expérience du premier trip sous LSD. Bien malgré lui alors. En effet, alors qu'il poursuit des recherches sur la maladie du seigle, dont la cause est à imputer à un petit champignon parasite (l'ergot de seigle), Albert Hofmann va synthétiser par accident une molécule qui deviendra le LSD 25. La maladie du seigle... Le mal des ardents, ainsi qu'on la nommait au Moyen-Age. La maladie qui rendait les gens fous. Pour se faire une idée de la chose, il suffit de regarder les tableaux du peintre Jéronimus Bosch, visions cauchemardesques d'un monde ayant sombré dans la folie.
Le LSD sera pourtant commercialisé pendant plusieurs années. Destiné à appuyer les thérapies psychiatriques, il se révélera très rapidement intéressant, et les résultats plus qu'encourageants. C'est au début des années soixante que le LSD va sortir du cadre strict de la médecine. Un professeur de psychologie à l'université de Berkeley, Timothy Leary va commander aux laboratoires Sandoz (qui commercialise alors le produit) un flacon de LSD 25 afin de mener des recherches sur les effets de la psilocybine, puis sur le LSD. Il réalisera ensuite avec ses étudiants des expériences comportementales. Un simple petit flacon. De quoi faire des millions de doses... En 1964, Leary écrira dans A Psychedelic Manual, un livre qu'il coécrit avec Ralph Metzner :

« Une expérience psychédélique est un voyage dans de nouveaux champs de conscience. La portée et la teneur de l'expérience sont sans limites, mais ses caractéristiques sont la transcendance des concepts verbaux, des dimensions d'espace-temps et du moi ou de l'identité. De telles expériences de conscience élargie peuvent se produire par une multitude de moyens : la privation sensorielle, les exercices de yoga, la méditation disciplinée, les extases religieuses ou esthétiques, ou spontanément. Très récemment, ces expériences sont devenues accessibles à tout un chacun par l'ingestion de drogues psychédéliques telles que le LSD, le psilocybine, la mescaline, le DMT, etc. Bien sûr, ce n'est pas la drogue qui produit l'expérience transcendante. Elle agit comme une simple clef chimique — elle ouvre l'esprit, libère le système nerveux de ses modèles et structures ordinaires. »

Le feu aux poudres ! Deux ans plus tard, l'usage du LSD est définitivement interdit par la CIA. Mais il ne semble alors plus possible d'enrayer le mouvement. San fransisco devient le nouvel Eldorado, et le quartier de Haigh-Asbury est en pleine effervescence. Les Diggers oeuvrent désormais à la réalisation d'un monde nouveau. Les consciences des petits occidentaux s'ouvrent sur des univers parallèles. Des ponts sont jetés entre les luttes. Lutte pour les droits civiques des noirs où les White Panthers de Leni Sinclair se joignent aux Black Panthers de Bobby Seale et Huey P. Newton. Opposition à la guerre au Viêt-Nam. Mouvements féministes. En France, les Enragés vont mettre le pays sur la voie de la Révolution...
Musicalement, le vocabulaire sonore explose littéralement. Frank Zappa brouille les cartes avec Freak Out! (1966) , Miles Davis fait sortir le jazz des conventions rigides avec In A Silent Way (1969), Gil Scott Heron fait l'ébauche du Hip-Hop sur Pieces Of A Man (1971)...

On sait ce qu'il advint de l'esprit invoqué dans ces années fleurissantes. Le système s'en est emparé pour mieux le pervertir. Nombreux se sont laissé séduire par les sirènes de la renommée. Les publicitaires font désormais leurs choux gras de slogans calqués sur le modèle soixantehuitard, et la jeunesse est devenue une cible, une niche consummériste qu'il suffit d'apâter avec maints gadgets pour mieux la corrompre et la pacifier. Mais il n'empêche que ces années ont été riches en expérience. Elles restent un phare, aussi illusoire soit-il, dans le brouillard de guerre permanente qui enveloppe aujourd'hui notre quotidien. Ce blog a l'ambition de parler de ce qui fut et de ce qui demeurre de ces années là. Ce blog essaye de ne pas perdre le fil. Ce blog suit sa bille : "féconder le passé et enfanter l'avenir : que tel soit mon présent." (Friedrich Wilhelm Nietzsche)

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